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Institut Périchorèse - Atelier d'iconographie

 

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Un Invisible vu et entendu

Instantané du Carnet web - 15 janvier 2013

 

Fra Angelico.  Annonciation dite ‘de Cortone’.  Tempera sur bois (175 x 180 cm), 1433-1434

 

 

Cette image est un détail d'une des Annonciations peintes par Fra Angelico au XVe siècle.  Un détail plus grand de cette peinture est reproduit sur la couverture du collectif Langue de bois et parole en or qui fait ces jours-ci l'objet de nos Pensées du jour.  Ce matin, 15 janvier, j'ai reproduit comme d'habitude cette Pensée dans ma page facebook personnelle et je l'ai illustrée par cette image... Une Parole d'or, celle de l'Ange de Dieu participant du Souffle vivant qui vient, traversant notre espace de sa lumière, toucher de sa fécondité le corps libre et attentif de Marie.  

 

Cette publication a suscité le bref dialogue qui suit.  Mon interlocuteur est et je suis

 

 

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Voici le dialogue

 

  La parole est tout aussi visible que l'ange qui pourtant sont tous les deux invisibles probablement pour rendre visible l'Invisible Verbe qui va s'incarner dans la chair... Quelle joie que cette naissance de Dieu dans notre humanité pour notre humanité!

 

  C’est très vrai, un magnifique symbole que ces traces visibles d'une Parole invisible qui s'incarne. Le paradoxe de "L'invisible qui se fait voir" : c'est le titre que Schönborn donne à sa section sur saint Théodore Studite.  Je partage ton émerveillement !  

 

 

 

Source d'émerveillement partagé, oui... Et reconnaissance.

 

"L'Invisible qui se fait voir" est un sous-titre de la dernière section du livre magistral de C. Schönborn, L'icône du Christ : fondements théologiques élaborés entre le 1er et le 2e concile de Nicée (325-787).   Aux opposants de l'icône qui disaient que la seule humiliation de son Incarnation (périgraphê) suffisait à Dieu et que reproduire symboliquement ce mystère par le graphè iconique était l'humilier davantage, lui manquer de respect, saint Théodore Studite répliqua que celui qui ne peut imaginer le Christ ressuscité trônant dans sa chair d'homme à la droite de Dieu ne lui apporte aucune adoration car il nie alors son Incarnation elle-même.

 

Dans la foulée du raisonnement néo-platonicien dénoncé par saint Théodore, on tient parfois ce qui est visible pour moindre que l'audible et l'image (associée à la chair) comme un succédané inférieur de la parole (identifiée à l'esprit, à l'intellect).  Cette logique envahit ensuite le monde de l'icône où on oppose l'expression "écrire des icônes" à l'idée de peindre.  Pourtant, dit le même Schönborn, le mot grâphè, dans ses acception et usage anciens, couvre à la fois l'écriture et la peinture car, en amont, il veut dire littéralement gratter, inscrire, marquer.  L'expression 'écrire des icônes' ne signifie donc en aucune façon une dévalorisation théologique de l'image, ce serait un non sens, mais souligne plutôt l'étroite parenté des Évangiles et des Icônes qui, suivant le Concile de Nicée II, proclament le même message d'amour et de salut, les premières avec l'écriture, les secondes avec l'or et les couleurs.

 

En théologie de l'icône, on dira donc que le graphe de l'icône, son écriture-peinture en tant qu'inscription matérielle, est le signifiant de la réalité de la circonscription de l'Incarnation.  Dans cette logique, peindre une icône et écrire son nom 1, c'est rendre hommage à l'Incarnation, c'est célébrer la grandeur du Dieu trinitaire, sur-transcendance absolue par rapport à nos représentations naturelles et limitées de la toute-puissance.  Le graphe iconique n'est pas l'Incarnation et ne la reproduit pas, mais il témoigne de sa vérité et de sa réalité par et dans sa matérialité (cf. Concile des Images de Nicée en 787).

 

Dans la théologie de l'icône, élaborée si finement au cours de la période patristique, le Christ-Jésus est tout autant Image éternelle et co-substantielle du Père-Dieu, Dieu-avec-Dieu, que Verbe.  Verbe et Image dans l'unique Incarnation de Jésus en Marie disent quelque chose d'absolument inouï (jamais entendu) et d'irreprésentable (jusqu'alors) sur le mystère de l'Invisible Silence qui se rend visible et audible à toute chair transfigurée par l'Esprit.  C'est toute la personne humaine qui est rétablie dans sa "capacité de Dieu" (capax dei) et pas seulement son esprit ou son âme. 

 

C'est donc dans le sens d'une véritable concrétude que va l'énoncé de saint Paul - "Le Christ est l'effigie (image) de la substance (être) de Dieu le Père" (He 1, 3) en résonnance avec la parole de Jésus à Philippe "Qui me voit, voit le Père" (Jn 14,9).  Ces deux phrases inséparables sont les piliers néo-testamentaires de l'édifice théologique de l'icône en lien au prologue du quatrième Évangile célébrant un Verbe qui se fait chair pour se manifester sans voile, dans la visibilité de la foi, comme la Lumière du monde (Jn 1).  Saint Jean pousse très loin cette matérialité salvifique de l'incarnation :

 

"Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de la vie..." (1 Jn 1, 1). 

 

Opposer ces dimensions et briser le paradoxe pour ne garder que le principe spirituel et ses représentations abstraites, comme le faisaient les adversaires de l'icône, c'est vouloir se soustraire à notre condition charnelle, laquelle, pourtant, n'a pas fait peur à Dieu qui, s'y reconnaissant, a choisi de la faire sienne pour l'éternité. 

 

 

 

pour l'Institut Périchorèse

par Michèle Lévesque

théologienne et iconographe

2013-01-15

Annonciation d'Oustiog, XIIe siècle.

  A la parole de l'Ange, Marie commence à tisser la chair de Dieu en son sein.

 

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Note

 

1. Une icône doit toujours représenter une hypostase, une personne avec un visage, mais aussi porter une inscription, un nom. Les deux participent de la (re)présentation car les attributs visuels de l'image et les  inscriptions du nom permettent à l'orant(e) de clairement identifier les personnages de l'icône et de prier en communion avec eux.  L'icône est toujours relationnelle car son unique but est la prière, la relation à Dieu dans la médiation vivante de l'Église. 

 

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