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Institut Périchorèse - Atelier d'iconographie

 

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Une brève histoire des icônes

Billet du Carnet web 18 juin 2015

 

 

Ce texte a été rédigé par Virginie Desjardins pour le Catalogue de l'exposition collective L'Icône : à la rencontre de l'invisible (1) tenue au Musée des maîtres et artisans du Québec du 16 février au 15 mars 2015 à Montréal.  L'article est reproduit ici avec l’aimable autorisation de la commissaire et organisatrice de l'exposition, madame Nylda Aktouf, iconographe.      

 

Une brève histoire des icônes 

 

L’icône telle que nous la connaissons aujourd’hui est le fruit d’une histoire jalonnée de difficultés.  Le processus créatif qui lui a donné le jour est le fruit de techniques, de normes de composition, de schémas qui sont souvent antérieures au Christianisme.  L’icône naît dans un espace culturel défini qui lui donne beaucoup de ses spécificités.  Elle évoluera ensuite différemment selon les cultures qui l’adopteront. Ainsi l’icône, bien que régie par des normes et des canons fixés par les Conciles et la Tradition, est vivante et s’adapte en gardant un respect infini pour le fleuve qu’est la Tradition Chrétienne des premiers siècles.

 

Origines Spirituelles de l’icône

 

Pour l’iconographe, le prototype de toute icône est le visage du Christ. 

 

Les récits apocryphes transmis par la tradition de l’Église illustrent cela : Ces récits mettent en scène le Christ transférant lui-même l’image de son visage sur un linge : C’est le cas de Véronique (vera ikona ou la vraie image) que certaines traditions anciennes citent pour avoir essuyé le Visage du Christ au cours de Sa montée au Golgotha sur le chemin de croix, l'image du Saint Visage restant "imprimée" sur le tissu ; et aussi du récit du roi Abgar d’Édesse qui, malade, envoie son peintre pour qu’il fasse le portrait du Christ, convaincu qu’un tel portrait le guérira. Le peintre est incapable de rendre la beauté et la lumière se dégageant du Christ et ce dernier, par compassion, s’essuie le visage avec un tissu et le remet au peintre qui le rapporte au roi. Ce dernier est miraculeusement guéri.

 

Un troisième tissu portant l’image du Christ est encore gardé de nos jours par l’Église : c’est le Saint Suaire de Turin où l’image du Christ au tombeau aurait été transférée de façon inexpliquée sur son linceul.

             

La Tradition accorde aussi à l’apôtre Luc, médecin et peintre, la paternité de la première icône peinte de la Mère de Dieu (Theotokos : celle qui porte Dieu).

  

Origines techniques de l’icône

  

Du point de vue technique, l’icône doit beaucoup aux arts préchrétiens de l’empire romain. Ainsi  les représentations de « Christ en Majesté » et de  « Vierge trônant » sont nées des œuvres impériales byzantines représentant l’empereur et son épouse dans toute leur gloire impériale. Les « Mère de Dieu Orantes » ont pour origine les représentations de femmes en prière dans les catacombes de Rome. Il existe aussi une parenté manifeste entre les portraits funéraires de la vallée du Fayoum en Égypte et le graphisme des visages sur les icônes anciennes. 

 

Les média utilisés dans l’iconographie ancienne vont de l’encaustique à la mosaïque, en passant par la tempera à l’œuf qui est la méthode la plus usitée aujourd’hui pour la réalisation des icônes.  Lorsque le verre plat deviendra plus répandu, les icônes peintes sur verre feront leur apparition, plus spécifiquement en Roumanie.

 

Ainsi l’icône se conformera à l’horos du concile œcuménique de Nicée II

(en 787) :

 

« Nous définissons donc en toute justesse et rigueur que, semblablement au type de la Croix vénérable et vivifiante, il faut vouer (à Dieu) les saintes et vénérables icônes faites selon ce qui convient, de couleurs, de mosaïques, de pierres ou d’autres matériaux, que ce soit dans les saintes Églises de Dieu, sur les ustensiles et les vêtements sacrés, sur les murs et les planches de bois, ou dans les maisons et sur les chemins;  et aussi bien les icônes de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ, que celle de Notre Dame la sainte Mère de Dieu, des anges vénérables et de tous les saints . » (2)

 

Et les iconographes seront soumis à des règles strictes de conformité aux Écritures Saintes et à la tradition de l’Église:

 

« Du peintre [i.e. de l’iconographe] dépend seulement l’aspect technique de l’oeuvre, mais tout son plan, sa disposition, sa composition appartiennent et dépendent d’une manière très claire des saints pères . » (3)

 

 

Évolution de l’icône et crise iconoclaste

 

L’icône s’est  surtout développée après que l’empereur Constantin (converti vers 312) ait donné la liberté de culte aux chrétiens par l’Édit de Milan (313).   Selon Paul Veyne, l’empereur considère dès lors l’Église comme l’un des principaux soutiens du pouvoir et il en devient le « président » effectif. (4)

 

Ce type de concentration des pouvoirs étatiques et religieux dans les mains de l’empereur permet la construction de nombreuses églises et le développement, par mécénat, d’un art particulier : l’art chrétien byzantin.

 

L’icône a toujours été intrinsèquement liée à la liturgie chrétienne et sa vénération s’est développée autour de cette osmose entre elle et le culte liturgique.  Mais la vénération de l’icône pose aux théologiens de nombreuses questions éthiques.  En raison surtout de pratiques déviantes de l’usage des icônes et liées à l’interdit de l’Ancien Testament provenant de Exode 20,4 « Tu ne te feras pas d’image taillée ni de représentation quelconque de ce qui est en haut dans le ciel… » ;  interdit repris de nombreuses fois dans la Bible en d’autres termes (Deutéronome 5, 8 et 27, 5,  Lévitique 26,1, Psaume 97, 7, etc.)

 

C'est sur ces bases scripturaires que les chrétiens qui vénéreront les icônes seront  accusés, souvent avec raison, d’idolâtrie par d’autres chrétiens : c’est la naissance de l’iconoclasme (la destruction des icônes et l’éradication de leur culte) au VIIe siècle.  Il faut néanmoins attendre l’empereur Léon III l’Isaurien (680-741) pour que les premières mesures iconoclastes soient prises par l’Empire : en janvier 730 est interdit le culte des images. (5)

 

Une période de latence s’ensuit jusqu’à ce que l’empereur Constantin V Copronyme convoque un concile en 754 qui décide que l’iconoclasme est désormais doctrine officielle de l’Église d’Orient et de tout l’Empire. Les moines restent pourtant partisans du culte des images et seront martyrisés.

Sous l’impératrice Irène, un nouveau Concile (dernier Concile œcuménique, de Nicée II) rétablit le culte des images en 786-787. En 815, l’empereur Léon V l’Arménien revient à l’iconoclasme de façon plus violente encore : assassinats et destructions redoublent. Puis sous l’empereur Michel II le Bègue, la violence iconoclaste diminue.

  

De grands théologiens tels Théodore Studite et Jean Damascène ont défendu les icônes sur le plan théologique. En utilisant des arguments de l’Ancien Testament comme Genèse 32, 30 où Jacob dit : « J’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée » ainsi que des arguments centrés sur le Dieu fait Homme, l’avènement du Christ, qui ayant été vu par l’humanité permet dès lors à l’humanité de représenter Dieu le Fils. C’est ici que les paroles du Christ prennent tout leur sens : Qui m’a vu a vu le Père (Jean 14, 9) et aussi le passage de Colossiens 1, 15 « Il (le Christ) est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création ».   Jean Damascène dira au sujet de la vénération de l’icône: « Je n’adore pas la matière mais le Créateur de la matière, qui est devenu matière à cause de moi, qui a voulu habiter la matière et qui, par la matière, a fait mon salut. »

 

La crise iconoclaste prendra fin en 843 lorsque l’impératrice Théodora réunira un Concile qui confirmera la légitimité du Concile de 787 et réinstaurera le culte plein et entier des icônes. Le horos de Nicée II précise les bornes d’une vénération juste des icônes, qui exclu l’idolâtrie :

 

«  Plus souvent on regardera ces représentations imagées, plus ceux qui les contempleront seront amenés à se SOUVENIR des modèles originaux, à se porter vers eux, à leur témoigner, en les baisant, une VÉNÉRATION respectueuse, sans que ce soit une adoration véritable qui, selon notre foi, ne convient qu’à Dieu seul. » (6)

 

C’est  sous l’autorité politique de deux femmes, à cinquante-six ans d’intervalle, que furent sauvées les icônes.  D’autres périodes historiques verront la destruction des icônes et le martyre de ceux qui les défendront. C’est le cas de la période du communisme en Russie. Aujourd’hui, un renouveau de l’iconographie a lieu partout dans les pays de l’ancienne Union Soviétique et en Occident. 

 

 

Conclusion

 

Pour nous, le vrai miracle est que les principes et les techniques de l’iconographie nous soient parvenus malgré la disparition presque totale du trésor iconographique ancien et de ceux qui le détenaient.

 

L’icône est Présence, mais elle est aussi présente, ici et maintenant, grâce au courage et à la foi de nombreux inconnus qui ont perpétué cet art au péril de leur vie. C’est beaucoup à eux que nous rendons hommage en exposant ces icônes qui sont leur héritage que nous souhaitons perpétuer et donner en héritage à notre tour.

 

 

Virginie Desjardins

Iconographe

 

 

Notes et références

 

(1Catalogue de l'exposition "L’icône : à la rencontre de l’invisible', Musée des maîtres et artisans du Québec, Montréal, du 19 février au 15 mars 2015, dépôt légal 3e trimestre 2015, ISBN 978-2-92237-61.  L'article "Une brève histoire des icônes" est aux pages 15-18. 

(2 Le texte français du Horos provient du site de l’Institut Périchorèse : http://www.perichorese-icones.org/Blogue/Horos.htm

(3) Idem.

(4) Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), éditions Albin Michel, coll. Idées, 2007.

(5) Sur la période iconoclaste de l'histoire byzantine, voir le site internet

http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9riode_iconoclaste_de_l%27histoire_byzantine

(6) Institut Périchorèse, op. cit. Institut Périchorèse, op. cit.